Autopsie d’un malentendu séculaire.
Beaucoup de projets, témoins d'une vitalité de l'AIMF.
L’assemblée générale de l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF) s’est tenue à Cotonou du 11 au 14 octobre avec des décisions et des projets qui témoignent de la vitalité de l’association. Pendant cette réunion, des partenariats sud-sud et nord-sud nombreux ont été signés, augurant de coopérations bilatérales voire multilatérales entre ses membres. Ces initiatives doivent être saluées comme autant d’occasions de rapprochement des signataires, dans l’intérêt de leurs collectivités et des populations. L’AIMF rapproche ainsi les hommes et les femmes par la volonté d’agir.
Et pourtant, quels sont les objectifs et les projets?
Par contre, voyageant régulièrement en qualité d’élu ou de membre de la diaspora africaine, le mot ‘’partenariat’’ m’est trop familier, et pas favorablement, comme un leitmotiv réflexe pavlovien, dès les premiers contacts, sans se connaître, surtout sans objectifs ni projets.
J’ai d’abord associé ce terme à recherche de coopération, c’est-à-dire des opportunités de travailler ensemble (cum operare) pour construire en commun. Puis, au fil du temps, entre demandes pressantes et déceptions manifestées, j’en suis venu à questionner ce que pouvait contenir ce mot valise dont je n’avais manifestement pas les bonnes clés.
De proche en proche, j’ai pris conscience du vrai contenu de ce mot valise estampillée ‘’partenariat’’ que je résumerai en deux mots : attente de don et d’aide d’un côté, contre pression de donner et d’aider de l’autre. Et je n’en fus pas fier.
Moi qui ai construit ma respectabilité de membre de la diaspora sur le principe absolu d’égalité et d’équilibre entre les relations partenariales, je venais de prendre un soufflet et de comprendre que le partenariat, c’est la politique de la main tendue et toujours vide du sud, dans l’attente de recevoir quelque chose de la main du nord forcément pleine, et quasiment toujours sans un projet de catalyseur.
Dans ces conditions, tout est bon à prendre, y compris, hélas souvent, les rebuts d’une société de consommation frénétique où l’obsolescence snob produit à foison de quoi satisfaire les attentes du ‘’partenaire’’ du sud. En ce cas, le partenariat n’est rien d’autre qu’une vaste entreprise de récupération de tout ce qui ne sert plus. Et tout est bon à prendre, quitte à ce que le don ne trouve aucune utilisation une fois à destination.
Aussi, tout en saluant ces occasions de rencontres que sont les partenariats, je pose la question suivante : quel est le projet commun ? Y en a-t-il un ? Est-il pensé et réfléchi ensemble en fonction de l’environnement local, des besoins et ressources locaux ? Et qu’est ce qui fait la balance pour l’autre partenaire donateur ?
Partenariat ou coopération : agir ensemble pour construire ensemble en se projetant ensemble.
Qu’est-ce qu’un projet ?
Trois mouvements résument l’objet : une idée à transformer en réalité et réciproquement ; une dynamique tournée vers l’autre et réciproquement ; un but à atteindre ensemble et réciproquement.
En effet, le projet est avant tout la rencontre de volontés des acteurs. Un projet est un ensemble d’activités devant être planifiées, mises en œuvre, financées et exécutées ensemble, comme une unité dynamique cohérente. Un partenariat par projet, c’est travailler ensemble. Le projet peut comprendre une multitude d’activités qui tendent toutes vers un même objectif, ceci fait sa richesse ; mais surtout ceci enrichit les acteurs qui apprennent en cheminant donnant raison à cette pensée de St Exupéry ‘’si tu diffères de moi mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis’’.
Ainsi, un projet a au moins un objectif majeur et un horizon partagé qui rythment sa durée et sa planification. Un projet a des temps d’évaluation pour vérifier son état de marche et sa trajectoire. Ah, le temps, ce poison de toutes les coopérations ! Cette diachronie qui surprend, lasse et finit par décourager les meilleures bonnes volontés en coopération.
Le projet a des indicateurs d’efficacité pour consolider ou corriger sa trajectoire, encore faut-il que tous les acteurs assurent et assument leur part du chemin. A court, moyen ou long termes, le projet est un élément fédérateur ou destructeur des volontés et des actions des partenaires. Il est donc nécessaire que chacun, assumant sa part de la collaboration, agisse au diapason de l’autre.
Dès lors, un partenariat sans projet n’est ni crédible, ni imaginable. Plus concrètement, une commune est un ensemble de projets en interaction. L’élu a donc, à tout moment, l’obligation de donner du contenu et du sens à tout partenariat par des projets concrets. Ceci est son engagement, ceci est son devoir, ceci donne du sens à sa légitimité et à sa crédibilité qui rejaillit forcément sur la collectivité qu’il administre. En un mot, il est inimaginable d’aller en partenariat sans projets.
Effets d’un partenariat basé sur un projet partagé et co-construit.
Apprendre à se connaître en construisant ensemble et à parité, autour des mêmes objectifs et finalités ; s’apprécier et créer des relations de confiance pour la durée ; avoir envie et plaisir d’aller plus loin ; travailler utilement et à long terme pour la commune. Ce sont là les ingrédients pour que le partenariat devienne ce pont où les humains se rencontrent pour échanger, partager, construire. A fortiori, les élus sont des passeurs de valeurs à l’ échelle humaine auxquels le partenariat offre l’opportunité de porter les voix et les aspirations de leurs peuples au-delà de leurs frontières, en dignité et en fierté par l’échange équitable, voire en élégance par le respect de la parole donnée.
Jumelages sans projet comme partenariat sans projet : les mêmes causes pour les mêmes effets.
Souvent recherchés sans projet, les jumelages souffrent des mêmes maux et portent les mêmes vices que le partenariat sans projet. Leur taux de fragilité ou de stagnation voire de mortalité dépasse les 70% au bout de 5 ans. Et les causes de ces morts prématurées sont pour l’essentiel : les deux parties ne se connaissent que sommairement ou pas du tout ; un moindre attrait des demandeurs du sud pour les efforts qu’exige le jumelage ; un temps très élastique de réponses quand un projet est envisagé, des silences qui frisent le désintérêt, l’absence de suivi faute de planification de la vie du jumelage ; l’étiolement puis la mort de la motivation de la partie nord qui finit par jeter l’éponge. Pour l’avoir vécu à maintes reprises, je témoigne de cette catastrophe.
Car, un jumelage ne saurait être que l’aboutissement d’un processus long, une mise à l’épreuve où les 3 étapes idéales sont : un essai réussi à travers un projet simple partagé; un traité ou pacte d’amitié qui constate que la confiance s’établit et que le partenaire est efficace et crédible ; enfin, la contractualisation du jumelage qui consacre la confiance en une relation durable, féconde, efficace et mutuellement bénéfique.
La logique du prêt à consommer, ou le poison du jumelage et du partenariat.
De nombreux élus sont dans la logique du prêt à consommer des retombées du partenariat. Est-ce l’effet de l’incertitude de leurs mandats qui, souvent, sont issus de la volonté de l’exécutif ? Comment rentabiliser le temps incertain de leur mandat à leur profit ? Ces deux questions interrogent fortement les diverses formes de décentralisation en Afrique et questionnent surtout le statut de l’élu. Ainsi, le projet ou le jumelage étant souvent attaché à la personne éphémère de l’élu qui en est à l’origine et non de la collectivité durable, de nombreux projets meurent, fragilisés ou précarisés par les alternances politiques. Comment inscrire les collectivités comme actrices à part entière et durablement bénéficiaires des projets ? C’est là un chantier qu’il convient d’ouvrir pour pérenniser les partenariats autour de projets pérennes.
Alors, il serait dommage que la quantité des partenariats signés à Cotonou ne porte pas durablement de beaux fruits au bénéfice des collectivités signataires et des populations. Je le souhaite fermement en conjurant tout élu à l’initiative d’un partenariat, d’être à tous les rendez-vous des projets nécessairement inhérents à ces volontés d’agir.
Mais les exigences du projet questionnent également les ‘’donateurs’’ d’hier et les coopérateurs d’aujourd’hui. Jadis peu regardants sur la concordance de leur contribution avec des projets effectifs, leur cécité a donné lieu à beaucoup d’« éléphants blancs ». Désormais, la rareté des moyens et des ressources conduit de plus en plus à questionner la traçabilité des ‘’aides’’ ou des subventions et à former des observations sur l’utilisation des fonds alloués, sans être tétanisés par la fameuse ‘’non ingérence dans les affaires intérieures….’’ qui a favorisé bien des gaspillages de fonds publics. Mais là aussi, il reste du chemin à faire.
En guise de conclusion provisoire.
La coopération entre les hommes, par-delà des frontières, est une nécessité absolue pour la paix et la concorde mondiales et universelles. Par les projets réalisés en commun, les acteurs d’aujourd’hui créent les conditions d’un nouveau partage autour de valeurs essentielles pour la Cité, sa gouvernance et son développement, parmi lesquelles, entre autres : le respect de la parole donnée, la gestion du temps du projet, et le respect du temps du projet ; l’acceptation de l’évaluation et du contrôle. Ils matérialisent ainsi leur volonté de laisser une trace pour les générations futures. Le projet sert alors de témoin dans cette course de relais sur le chantier de la vie, du monde et de la Cité. ‘’On n’applaudit pas d’une main’’, dit un proverbe arabe. A Cotonou, l’AIMF a offert l’opportunité de nombreux partenariats. Puissent les signataires applaudir en chœur en efficacité et en efficience, pour faire de la réussite des projets une source de bonheur et de fraternité pour les populations de toutes les rives francophones et davantage.
Michel PADONOU
Maire adjoint à la Ville-aux-Dames (Education et Transition écologique)
Président de l’Association des Elus Français d’Origine Béninoise (EFOB)
Qualité et évaluation des politiques publiques