Quelles sont les responsabilités juridiques des élus?

Pour y répondre, la rédaction a donné la parole à Me Isdeen OUABI, Secrétaire Général de EFOB.

Les élus doivent faire face à plusieurs types de responsabilités lors de l’exercice de leurs fonctions : responsabilité civile, responsabilité administrative, responsabilité pénale, responsabilité politique…

EFOB RESPONSABILITES CIVILE ADMINISTRATIVE PENALE POLITIQUE DES ELUS

La responsabilité civile

La responsabilité civile est une obligation qui pèse sur chacun et qui consiste à réparer tous les dommages qui sont causés à autrui. Ainsi, dans le cadre de la responsabilité civile que les dommages soient causés de manière volontaire ou involontaire par une personne ou que les préjudices soient nés de l’inexécution des obligations contractuelles, celle-ci doit réparer les dégâts subis par un tiers ou le cocontractant.

Le fondement de la responsabilité civile des élus

Elle trouve son fondement dans l’article 1240 du code civil (ancien article 1382 ) « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

L’élu n’est exposé à une responsabilité de droit commun que pour les fautes qu’il commet en dehors de ses fonctions ou dans le cadre de ses fonctions mais sans rapport avec celles-ci. L’élu, comme les fonctionnaires d’ailleurs, n’est donc personnellement responsable que lorsqu’il commet une faute dite détachable du service, soit une faute personnelle qui pourra être considérée par le juge comme imputable à sa personne et non à sa fonction. Il s’agira d’actes ou de carences révélant une négligence ou une erreur d’une exceptionnelle gravité selon les termes consacrés par la jurisprudence. Il s’agira manifestement des cas où, finalement, l’élu n’a pas agi en tant qu’élu mais dans un but personnel et en dehors de tout intérêt de la collectivité
Il est donc important de bien définir ce qu’est une faute personnelle, la seule susceptible d’entraîner la responsabilité civile personnelle de l’élu.
Une faute est personnelle lorsqu’elle n’a pas de lien avec le service : c’est la faute dite détachable du service, seule susceptible d’engager la responsabilité d’un agent public devant les juridictions de l’ordre judiciaire, et qui est d’une gravité telle que, lorsqu’elle est commise par l’agent dans l’exercice de ses fonctions, elle révèle un comportement totalement incompatible avec celui-ci.

La faute personnelle

Une faute est personnelle lorsqu’elle n’a pas de lien avec le service : c’est la faute dite détachable du service, seule susceptible d’engager la responsabilité d’un agent public devant les juridictions de l’ordre judiciaire, et qui est d’une gravité telle que, lorsqu’elle est commise par l’agent dans l’exercice de ses fonctions, elle révèle un comportement totalement incompatible avec celui-ci .
Il existe globalement trois sortes de faute personnelle:
-La faute totalement personnelle n’ayant aucun rapport avec le service, car commise en dehors de son cadre et sans qu’aucun de ses éléments ait un rapport avec lui (par exemple : un élu local propriétaire d’un chien qui mord la voisine) ;
-La faute ayant un lien avec le service, mais trouvant sa source dans une volonté de nuire ou de rechercher un intérêt personnel indu et distinct de l’intérêt général
-La faute présentant tous les caractères d’une faute de service, mais d’une gravité telle qu’elle ne peut y être rattachée (par exemple, élu local se livrant à l’occasion de son mandat à des violences physiques sur un administré).

Dans un arrêt du 10 novembre 2021, chambre civile 1 de la Cour de Cassation, Mme [N] et MM. [I] et [F] [U] (les consorts [U]) sont propriétaires indivis de biens immobiliers situés sur la commune de Rosières et ont souhaité les vendre comme terrains à construire.
Soutenant que M. [L], maire de la commune, M. [G], adjoint en charge de l’urbanisme, Mme [X], secrétaire de mairie en charge de l’urbanisme et M. [O], élu en charge des travaux et des routes, avaient volontairement et systématiquement dissuadé des acquéreurs potentiels de ces terrains de poursuivre leur projet et, ainsi commis, des fautes personnelles détachables de leurs fonctions, les consorts [U] les ont assignés devant la juridiction judiciaire en réparation de leur préjudice. Après avoir rappelé que la faute personnelle détachable du service, seule susceptible d’engager la responsabilité de l’agent public ou de l’élu devant les juridictions de l’ordre judiciaire, est celle qui est commise avec une intention malveillante ou celle d’une gravité telle que, lorsqu’elle est commise par l’agent ou l’élu dans l’exercice de ses fonctions, elle révèle un comportement totalement incompatible avec celui-ci et avoir examiné les propos et le comportement attribués à chacun des membres de l’équipe municipale, la cour d’appel a constaté que ceux-ci ne s’étaient pas bornés à délivrer des informations objectives sur l’état des terrains litigieux, mais avaient dénigré ces terrains et la personne de M. [F] [U], qu’ils avaient incité fortement les acquéreurs potentiels à s’orienter vers d’autres terrains et que MM. [O] et [G] n’avaient pas hésité à se comporter comme des agents immobiliers en leur faisant visiter d’autres terrains qui n’étaient pas des terrains communaux.
De ces constatations et énonciations, la cour d’appel a exactement déduit, que les faits invoqués étaient constitutifs d’une faute d’une particulière gravité révélant un comportement incompatible avec les fonctions d’élus et d’agents publics, de sorte que les juridictions judiciaires étaient compétentes pour connaître du litige. (cf Legifrance)
La faute personnelle entraîne la responsabilité de son auteur, et non celle de la collectivité territoriale. La victime d’une faute personnelle d’un élu doit demander réparation devant le juge judiciaire, et c’est l’élu personnellement qui devra réparation (ou son assureur en responsabilité civile).
En revanche, la victime d’une faute de service doit demander réparation à la collectivité devant le juge administratif. Cependant, et afin de faciliter l’indemnisation des victimes, le juge a souvent tendance à permettre l’engagement de la responsabilité administrative de la collectivité territoriale, en estimant soit qu’il n’y a pas de faute personnelle, soit qu’elle s’est cumulée avec une faute de service, soit qu’elle présente un lien avec le service. (CE, 3 février 1911, Anguet, n° 34922 ; Cass. Crim., 3 juin 1992, n° 91-83945 ; CE, 2 mars 2007, Banque française commerciale de l’océan Indien, n° 283257 ; CA Bourges, 15 février 2007, n° 2007/38 )
Lorsque la faute de service alléguée relève des fonctions d’officier d’état civil ou d’officier de police judiciaire de l’élu, le juge civil est seul compétent, mais il appliquera le régime de la responsabilité administrative. (articles 51, 52 du Code civil ; CE, 10 novembre 1997, M. X. c./Commune d’Angoulême, n° 107323 ; Cass. civ. 1ère, 6 février 2007, n° 06-10-403 I. 2 –
2

Les conflits d'attribution de compétence entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives

Lorsque la responsabilité civile d’un élu est mise en cause devant le juge judiciaire et que cet élu estime que la responsabilité administrative de sa collectivité est concernée, il peut demander à celle-ci de saisir le préfet d’un conflit positif d’attribution.
Le préfet adresse alors un déclinatoire de compétence au représentant du ministère public, afin qu’il le transmette au tribunal pour lui signifier son incompétence.
Le tribunal va soit reconnaître son incompétence, soit rejeter le déclinatoire. Dans ce cas, il doit surseoir à statuer pendant quinze jours afin que le préfet puisse apprécier les suites à donner au jugement. Si le préfet maintient sa position, il va élever le conflit en prenant un arrêté de conflit motivé adressé au greffe du tribunal. Le ministère public demandera au tribunal de surseoir à statuer en attendant la décision du tribunal des conflits, qui doit intervenir dans les quatre mois.
Le tribunal des conflits composé paritairement de juges judiciaires et de juges administratifs, peut annuler l’arrêté de conflit, le confirmer en totalité ou partiellement. (loi des 16 et 24 août 1790 et décret du 16 fructidor an III ; ordonnance du 1er juin 1828 ; TC, 12 oct. 1992, Syndicat CGT d’EDF, n° 2722 ; TC, 12 oct. 1992, Préfet de l’Essonne, n° 2726 )

La responsabilité administrative et la protection fonctionnelle

Si un élu se trouve malgré tout condamné personnellement pour des faits qu’il estime imputables au service, il peut demander à sa collectivité de lui accorder sa protection fonctionnelle.
Seul un motif d’intérêt général peut justifier le refus de protection.
S’il y a effectivement faute de service, c’est la collectivité qui en assumera financièrement les conséquences. S’il y a conjonction d’une faute de service et d’une faute personnelle, elle ne répondra que de la faute de service, soit en laissant l’élu dédommager la victime de la partie relevant de sa faute personnelle, soit, après avoir intégralement dédommagé la victime, en se retournant contre l’élu dans le cadre d’une action récursoire. Références : article L. 2123-35 du code général des collectivités territoriales ; (CE, 28 juillet 1951, X. c./Ministre des Anciens combattants et victimes de la guerre, n° 01074).
Lorsque l’élu agit au nom de l’État et non de la commune, il jouit de la même protection, mais exercée par l’État et non par la commune.
La responsabilité administrative des élus locaux peut être mise en cause par leur propre collectivité, à l’encontre de son exécutif (maire, adjoint au maire ou conseiller agissant en vertu d’une délégation du maire) devant le juge administratif lorsqu’il s’agit de décisions prises pour le seul avantage personnel de l’élu concerné, et sans aucun intérêt pour sa collectivité (notion donc plus étroite que celle de la faute personnelle). La collectivité est alors fondée à en demander le remboursement des conséquences pécuniaires pour elle, par la voie de l’état exécutoire, éventuellement contestable devant le juge administratif. (CE 3 juin 1892, Guenebaut c/ Senet et Commune de Minot, Lebon 530 ; TC, 21 janvier 1985, Hospice Châteauneuf-du-Pape et a., Lebon 1985, p. 519 ; CE, 23 décembre 1988, X. c./ Commune d’Encourtiech, n° 83813 II).

A suivre...

Dans une prochaine rubrique, nous évoquerons la responsabilité pénale des élus.

Me Isdeen OUABI

Me Isdeen OUABI
Docteur en Droit
Avocat
Secrétaire Général des Elus Français d’Origine Béninoise (EFOB)